Scandales financiers et faillites monumentales : recommandation de livres pour les fêtes.

En cette fin d’année, je vous propose ma sélection des meilleurs livres traitant de la criminalité en col blanc, à lire entre deux repas de fêtes ou à mettre sous le sapin.

Article original paru sur le site du Village de la Justice le 14 décembre 2022 et accessible ici.

Depuis ma première rencontre avec Sherlock Holmes, j’ai toujours aimé lire les histoires d’affaires criminelles.

Mais, comme le grand Sherlock l’affirmait lui-même à Watson dans les premières lignes de la nouvelle « Une Affaire d’Identité »[1], la réalité est parfois bien plus riche en péripéties invraisemblables et divertissantes que la fiction. Ces 20 dernières années, les scandales financiers qui ont éclaté au grand jour n’ont cessé de donner raison au personnage de Conan Doyle.

 

Pour les praticiens du droit pénal des affaires ou de la conformité en entreprise, ce sont à la fois une source de divertissement et d’enseignements professionnels très concrets. On y retrouve à l’œuvre les passions humaines s’exprimant à travers les mécanismes de la négociation contractuelle, des marchés financiers et de la comptabilité… de véritables thrillers sur fond d’open spaces et de salles de réunion. Mais le monde de la criminalité en col blanc est aussi révoltant et fascinant pour tous les publics. La sélection présentée ci-dessous vous permettra de découvrir, d’approfondir ou de partager votre connaissance de certaines des affaires les plus invraisemblables, mais vraies, de notre histoire contemporaine[2].

 

Les scandales les plus récents

 

Commençons par une des affaires les plus médiatisées de ces derniers mois, dont le personnage central porte le même patronyme que le célèbre détective précité. Au sommet de sa gloire médiatique, Elizabeth Holmes, Fondatrice et Directrice Générale de la start-up Theranos, était célébrée par la presse mondiale comme « le nouveau Steve Jobs ». Pour savoir comment elle s’est retrouvée condamnée à onze ans de prison pour fraude aux investisseurs, il vous faudra lire le récit palpitant du journaliste John Carreyrou, dans son livre « Bad Blood »[3]. Une fois cette lecture terminée, je recommande également le podcast « Bad Blood : The Final Chapter » que M. Carreyrou a consacré au suivi du procès d’Elizabeth Holmes, ainsi que le livre audio « Thicker Than Water »[4], écrit et lu par un des principaux lanceurs d’alerte de cette affaire, Tyler Schultz.

 

Plus proche de nous, et tout aussi contemporain, l’effondrement de la société allemande Wirecard, décrit dans « Money Men »[5] par le journaliste du Financial Times, Dan McCrum, est absolument passionnant. Comme John Carreyrou avec Theranos, Dan McCrum a lui-même participé à la révélation du scandale par ses travaux d’enquête et ses échanges confidentiels avec les lanceurs d’alertes. Il a fait l’objet de menaces et de poursuites judiciaires qui auraient fait reculer un investigateur moins déterminé et persévérant. Contrairement à Theranos, Wirecard était une société cotée, ayant même intégré le prestigieux indice DAX à la bourse de Francfort. Le récit de son ascension et de sa chute, rythmé par les mouvements de son cours de bourse, fait voyager le lecteur autour du monde, à la rencontre de personnages singuliers, dignes d’un roman d’espionnage.

 

Les années 2000, « âge d’or » des scandales financiers

 

Le monde était bien différent dans les années 2000. Au début de cette décennie, nous ne connaissions pas encore la télé-réalité, les réseaux sociaux et les smartphones. La mode était au téléphone portable le plus petit possible… A l’issue de cette décennie, de nombreux repères culturels avaient changé radicalement et des noms parmi les plus respectables du monde des affaires étaient devenus synonymes de faillite financière et morale.

 

L’effondrement spectaculaire d’Enron est le sujet d’au moins une douzaine d’ouvrages écrits par des journalistes, des universitaires ou d’anciens employés. Il a même été adapté sous la forme d’une pièce de théâtre[6]. Cette histoire n’a rien à envier à la saga « Game of Thrones » : on y retrouve une multitude de personnages en quête de pouvoir, de célébrité et d’argent et dont la chute n’en est que d’autant plus saisissante. L’ouvrage de référence dans cette affaire est selon moi celui des journalistes Bethany McLean et Peter Elkind « The Smartest Guys in the Room »[7]. Mais j’ai aussi beaucoup apprécié le récit de Kurt Eichenwald dans « Conspiracy of Fools »[8] qui se lit comme un roman de John Grisham. D’autres livres valent la peine d’être lus au coin du feu ou à la plage, comme celui écrit par Brian Curver, « Enron, Anatomy of Greed »[9], qui raconte les derniers mois de l’entreprise du point de vue d’un employé récemment embauché. Même si vous n’êtes pas un amateur de montages financiers complexes, vous trouverez votre compte dans ces récits où les émotions et les ambitions personnelles prennent le pas sur les normes comptables.

 

La chute de Worldcom, quelques mois à peine après Enron, est quant à elle racontée à la première personne par un des acteurs majeurs dans la révélation du scandale, Cynthia Cooper, qui était à l’époque directrice de l’audit interne dans ce géant des télécoms au bilan honteusement maquillé. Son livre « Extraordinary Circumstances »[10], décrit les épreuves qu’elle a traversées, avant et après avoir découvert les manipulations comptables de la direction du groupe. Comme de nombreux lanceurs d’alertes, l’auteur décrit les pressions exercées sur elle par les dirigeants et le mécontentement de ses collègues qui la rendait responsable de l’écroulement du cours de bourse. C’est donc l’histoire d’une véritable héroïne de l’entreprise et un modèle pour tous les professionnels de l’audit.

 

Quelques années plus tard, c’est le scandale Madoff qui déchaîna les passions et fit couler beaucoup d’encre. Il s’agissait pourtant d’une fraude des plus simples, probablement aussi vieille que la confiance elle-même : la « pyramide de Ponzi ».

 

Permettez-moi un bref écart chronologique, pour vous parler de Charles Ponzi. Il n’a pas inventé le concept qui porte aujourd’hui son nom. Mais il a marqué l’histoire par l’ampleur de la fortune qu’il a accumulée en quelques mois, en 1920, en promettant à ses investisseurs un rendement imbattable de 50% sur 90 jours. L’histoire de la vie de ce personnage étonnamment attachant est racontée dans le livre de Mitchell Zuckoff, « Ponzi’s Scheme »[11] et même dans une bande dessinée (française) : « La Pyramide de Ponzi »[12]. L’autobiographie de Ponzi lui-même, « The Rise of Mr. Ponzi »[13] constitue un complément intéressant à ces ouvrages. Derrière l’escroquerie éponyme se cachent la détermination d’un immigrant à sortir de la pauvreté et une histoire d’amour attendrissante.

 

Mais revenons-en à Madoff dont les manipulations se sont étendues sur près d’un demi-siècle, pour éclater au grand jour, à l’approche de Noël 2008, suite à la crise des sub-primes. Mon ouvrage préféré sur cette affaire est un des plus récents : « Madoff Talks »[14], par Jim Campbell. L’auteur y tente d’analyser la psychologie du personnage et dresse un bilan des dysfonctionnements dont Madoff a tiré profit. Pour ceux qui veulent lire un roman policier palpitant sur fond de marchés financiers, je recommande également l’ouvrage de Harry Markopolos, un des lanceurs d’alerte ignoré à plusieurs reprises par les autorités : « No One would listen »[15]. L’auteur raconte comment il avait deviné que Bernie Madoff, alors un des personnages les plus influents de Wall Street, ne pouvait être qu’un fraudeur monumental, des années avant que celui-ci ne se rende à la police pour finir sa vie en prison.

 

Enfin, terminons notre tour d’horizon par la France, qui a elle aussi connu son grand scandale au début du siècle avec la perte colossale infligée à la Société Générale par son trader Jérôme Kerviel. Le jeune trader avait engagé son employeur sur les marchés financiers à hauteur de dizaines de milliards d’euros, sans que les systèmes de contrôles ne détectent la moindre anomalie. Mouton noir ou bouc émissaire ? A vous de vous faire une idée en lisant les récits de Kerviel lui-même, « L’Engrenage »[16], et celui d’un des anciens dirigeants de la Société Générale, Hugues Le Bret, intitulé « Journal Intime d’un Banquier »[17].

 

Bonne lecture et joyeuses fêtes à tous !

 

 

[1] « Une Affaire d’Identité », nouvelle tirée du recueil « Les Aventures de Sherlock Holmes », par Arthur Conan Doyle, 1892

[2] La plupart des affaires de ma sélection se passent aux Etats Unis. Pour lire certains de ces livres, il vous faudra pratiquer l’anglais, la traduction française n’étant pas toujours disponible. Ils sont généralement accessibles en version papier, électronique et/ou audio, ce qui vous offre de multiples options pour les parcourir ou les offrir.

[3] « Bad Blood : Scandale Theranos, secrets et mensonges au coeur de la Silicon Valley », par John Carreyrou, 2018, (disponible en français, l’auteur étant franco-américain)

[4] « Thicker Than Water: The Untold Story of the Theranos Whistleblower », par Tyler Schultz, 2020, uniquement en livre audio

[5] « Money Men: A Hot Startup, A Billion Dollar Fraud, A Fight for the Truth », par Dan McCrum, 2022

[6] « Enron », pièce de théâtre par Lucy Prebble, 2009

[7] « The Smartest Guys in the Room: The Amazing Rise and Scandalous Fall of Enron », par Bethany McLean et Peter Elkind, 2003

[8] « Conspiracy of Fools », par Kurt Eichenwald, 2005

[9] « Enron : Anatomy of Greed – The Unshredded Truth from an Enron Insider », par Brian Cruver, 2002

[10] « Extraordinary Circumstances: The Journey of a Corporate Whistleblower », par Cynthia Cooper, 2007

[11] « Ponzi’s Scheme: The True Story of a Financial Legend », par Mitchell Zuckoff, 2005

[12] « La Pyramide de Ponzi », bande dessinée par Xavier Betaucourt et Nathalie Frelut

[13] « The Rise of Mr. Ponzi », par Charles Ponzi, 1935

[14] « Madoff Talks: Uncovering the Untold Story Behind the Most Notorious Ponzi Scheme in History », par Jim Campbell, 2021

[15] « No One would listen », by Harry Markopolos, 2010

[16] « L’Engrenage – Mémoire d’un trader », par Jérôme Kerviel, 2010

[17] « Journal intime d’un banquier – La semaine où Jérôme Kerviel a failli faire sauter le système financier mondial », par Hugues Le Bret, 2010